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À propos de "Les Allocations Familiales":

Je collectionne des photographies de la vie privée de personnes inconnues. Elles m’émeuvent et à la fois me contrarient puisqu’elles ont été abandonnées par les principaux concernés …
En rechargeant ces photographies de mes jeux de déformations, je pense réactualiser la vie de ces familles : regards détournés, nouveaux vêtements, coiffures excentriques, animaux de compagnie grossiers, cactus entre les jambes, tête d’insecte et ventre en hérisson. Plus encore, je procède à une sorte de manipulation génétique à l’aide de tipex et de décalcomanies. Des parents, dans leurs rêves de transmission à la nouvelle génération, se retrouvent hébétés à la naissance d’un fils monstrueux et poilu ; Un enfant se retrouve cerné par des parents à écailles et à têtes d’oiseaux, craignant une ressemblance dégénérative à venir. Parfois un quinquagénaire fébrile, membre d’une famille souriante et solidaire, bave en tirant la langue face à sa jeune nièce, ou alors, la barbe blanche du mari autoritaire recouvre et cache de plus en plus sa femme…
Entre naissances hybrides, troubles identitaires, jalousies, adultères, offenses et lâchetés, voici révélés par mes altérations graphiques les désordres internes de la famille, pourtant silencieux et invisibles sur les photographies. Je change les apparences, rends publiques les histoires secrètes et m’amuse de la restitution de la mémoire. Ainsi, souvent témoin de la fascination de l'image qui se veut garante d’une vérité et qui prévaut sur les vivants, je trouve plus juste de rendre hommage à ses individualités plutôt qu’à leurs images et ainsi de fêter le retour des indésirables « fantômes ».
Grâce aux logiciels de retouche de photographies, il devient facile d’effacer un ex-mari de ses photos de vacances, d’ajouter un cousin à une photo de mariage. Ainsi de nombreuses personnes pensent que les photos de familles ne doivent plus nécessairement évoquer ce qui a été, mais ce qu’on souhaiterait avoir vécu. Truquer, idéaliser les images de soi ou de ses proches, est une tentation plus forte à l’heure où les albums de photos familiaux passent de l’espace domestique à l’Internet.

Céline Martinet






Un extrait d'un article de Lise Ott, paru en 1998:

"Sur les chemins d'une gloire oubliée... Avec presque rien, Céline Martinet retrouve le sentiment du sacré":

"(...)À première vue, Céline Martinet a choisi de s'intéresser à l'objet, celui précisément qui peut engager de sensibles conversations avec la part humaine de chacun. Son univers personnel est composé d'une multitude de ces objets, soit qu'elle les ait conservés depuis longtemps, soit qu'elle les recueille lors de ses promenades aux puces. Une thématique privilégiée: l'enfance. Ainsi trouve-t-on de petits soldats de plastique ou de plomb, animaux familiers de petite taille, décalcomanies distribuées en grande surface à l'usage des enfants.
L'intérêt d'une collection résidant dans les classements divers, dont elle ouvre la possibilité à l'infini, c'est cet axe qu'elle a choisi de mettre en valeur. Histoire de fomenter de drôles, ou de plus nostalgiques petites narrations dont elle peut faire évoluer le sens selon les dispositions qu'elle adopte au cours des expositions.
Loin pourtant de vouloir provoquer un sentiment fétichiste que la simple présentation de ces objets pourrait susciter, elle n'en offre que les photographies-prétexte par ailleurs à des compositions colorées, dont la part picturale est ainsi rehaussée. tel est le cas du diptyque aux soldats-l'un, pauvre objet en plastique d'un blanc cassé, auréolé d'un fond gris bleu; l'autre, en plomb, rongé par les ans, se détachant sur un fond rouge qui rappelle la gloire dont se parent certains personnages de l'art religieux.
Ce sens de la représentation monumentale est aussi perceptible dans des réalisations d'un autre type. Ainsi ces décalcomanies agrandies au format du mur où elles sont placées, disposées de sorte à mettre ne place une série de scènes juxtaposées-procédé usuel du reste à la fresque. Les personnages-des techniciens de rallye de formule 1-sont censés offrir une représentation symbolique de la course à laquelle doivent se livrer les jeunes aspirants au domaine des Beaux-Arts. Des textes apposées en vis-à-vis en édictent ironiquement les préceptes.
Face au monumental, les petites séries, juxtaposant trois images seulement, offrent une vision plus intime des intentions de l'artiste. parfum désuet d'époque révolue, ou regard enchanteur sur des objets que le temps a progressivement rognés. Objets bancals, tentant de muettes et impossibles correspondances, sur des fonds translucides et laiteux comme ceux des contes de fées.
Une autre scène, entièrement réalisée à l'aide de clous dorés, montre deux ouvriers au travail-aspect précieux que ne dénie pas pour autant l'artiste.
Ainsi Céline Martinet révèle-t-elle la part déchue à laquelle est vouée l'objet, et du coup l'humanité avec elle, non sans révéler la mélancolie qui court à travers les âges de l'histoire de l'art. Dire aussi que cette génération tente de retrouver dans le précaire, les indices d'une nouvelle humanisation possible, c'est un signe des temps. Voir qu'il y a, implicitement, dans un tel dispositif, comme une résurgence de ce sens de la pauvreté magnifique, apparu lors du premier art chrétien, c'est enfin reconnaître cette recherche du sacré dont une bonne part de la production photographique, chez les jeunes artistes, est aujourd'hui porteuse.(...)"








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